GATT : histoire, signification, fonctionnement et actualité

Un traité griffonné à la hâte peut-il vraiment chambouler la planète? Le GATT, né en 1947 dans la poussière des conflits mondiaux, a réussi la prouesse d’aplatir les montagnes de tarifs qui cloisonnaient les économies. L’aventure démarre discrètement, mais ses répercussions secouent aujourd’hui chaque port, chaque douane, chaque négociation internationale.
À mesure que les décennies défilent, le GATT tisse une toile dense où les frontières s’amenuisent, sans jamais disparaître tout à fait. Les textes évoluent, les intérêts s’entrechoquent : l’acier, le numérique, l’agriculture deviennent les pièces d’un échiquier géopolitique à la fois subtil et brutal. Mais derrière le décor, qui orchestre réellement cette valse des échanges ?
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Plan de l'article
GATT : aux origines d’un accord qui a changé le commerce mondial
1945 : l’économie mondiale n’est plus qu’un champ de ruines. À Bretton Woods, des diplomates cherchent la formule qui empêcherait les nations de retomber dans le piège du repli et de la guerre commerciale. L’idée surgit : sceller un accord global, limiter les droits de douane, supprimer les quotas, et ouvrir enfin la porte à des échanges plus fluides. Voilà comment le General Agreement on Tariffs and Trade – le fameux GATT – voit le jour en 1947, d’abord comme une solution temporaire, faute d’accord sur une institution permanente.
Ce texte, pourtant provisoire, devient rapidement le socle du commerce mondial. Son mode d’emploi ? Lancer de grands cycles de négociations, où chaque pays taille dans ses tarifs douaniers, à condition que les autres fassent de même. Petit à petit, plus de nations prennent place autour de la table. L’agriculture, les textiles, puis les services et la propriété intellectuelle s’invitent dans les débats. Résultat : la mondialisation s’accélère, portée par le concept d’avantage comparatif et la promesse de marchés plus vastes.
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Les conséquences sont visibles : là où les barrières tarifaires dépassaient 40 % en 1947, elles tombent sous les 5 % pour la majorité des produits industriels à la fin du vingtième siècle. L’arrivée de l’Union européenne, du Japon, puis de la Chine, élargit la scène. Le GATT, devenu le cœur du dispositif, prépare le terrain à une mutation majeure : la naissance de l’OMC.
Quels principes structurent le fonctionnement du GATT ?
Le GATT s’appuie sur une mécanique juridique redoutablement efficace. Trois principes en sont les pivots : la non-discrimination, le traitement de la nation la plus favorisée (NPF) et le traitement national.
- Non-discrimination : aucun membre ne peut réserver un traitement particulier à certains partenaires. Tous doivent bénéficier des mêmes conditions, sans distinction sur la provenance des biens. Cette règle assure l’équité des échanges et interdit de favoriser certains au détriment des autres.
- Nation la plus favorisée (NPF) : accorder un avantage tarifaire à un pays, c’est le concéder automatiquement à tous les membres du GATT. Un rabais douanier ne reste jamais exclusif, il se diffuse à l’ensemble du réseau.
- Traitement national : une fois la frontière passée, un produit étranger doit affronter les mêmes règles – taxes, normes, réglementations – que les biens locaux. Impossible de dresser des obstacles cachés derrière la façade nationale.
Le GATT bannit également les restrictions quantitatives, préférant la clarté des droits de douane à la complexité opaque des quotas. L’objectif : rendre le protectionnisme visible, négociable, maîtrisable. Ce socle inscrit dans le droit international a permis de canaliser les ambitions nationales et de poser des limites claires aux excès du chacun pour soi.
En filigrane, cette charpente juridique trace depuis plus de soixante-dix ans la trajectoire d’une libéralisation progressive du commerce mondial.
De l’accord provisoire à l’OMC : une évolution marquante
Le GATT n’était qu’un point de départ. Dès le début, il devait ouvrir la voie à une organisation mondiale du commerce digne de ce nom, sur le modèle du FMI ou de la Banque mondiale. Mais à défaut de consensus en 1948, le GATT continue, provisoire mais incontournable.
Ce cadre multilatéral prend de l’ampleur à chaque cycle de négociations :
- Kennedy Round (1964-1967) : réduction massive des droits de douane sur les biens industriels.
- Tokyo Round (1973-1979) : offensive contre les barrières non tarifaires, élargissement des règles à de nouveaux domaines.
- Uruguay Round (1986-1994) : l’accord s’étend aux services et à la propriété intellectuelle, jusqu’à déboucher sur la création de l’OMC.
L’accord de Marrakech en 1994 marque le passage à une nouvelle ère : l’Organisation mondiale du commerce (OMC) prend la relève, engloutit le GATT et élargit son emprise aux services et à la propriété intellectuelle. Désormais, le système dispose de règles renforcées, d’un véritable tribunal pour trancher les différends et d’une légitimité institutionnelle inédite.
En 2024, l’OMC, emmenée par Ngozi Okonjo-Iweala, orchestre les échanges de plus de 160 pays et tente d’adapter cet héritage à une planète où le commerce ne cesse de se complexifier.
Le GATT aujourd’hui : quel rôle et quelles perspectives dans l’économie mondiale ?
Le GATT demeure la colonne vertébrale de l’OMC. Sa structure façonne encore les règles du commerce international des marchandises. Même si les vents protectionnistes soufflent à nouveau et que les accords bilatéraux se multiplient, la logique multilatérale continue de guider les principaux flux d’échanges.
Pourtant, l’actualité expose les fissures du système. Le cycle de Doha, lancé en 2001 pour donner plus de place aux pays du Sud, reste enlisé. Les querelles sur l’agriculture ou la propriété intellectuelle bloquent toute avancée majeure. Les rivalités entre grandes puissances, l’affrontement Chine–États-Unis, l’urgence climatique ou la question du numérique viennent bousculer les équilibres établis.
- Les pays en développement exigent davantage de flexibilité pour protéger leurs filières stratégiques.
- L’Union européenne, le Canada ou la Chine jouent parfois leur propre partition, en dehors du strict multilatéralisme.
- Les géants du commerce mondial négocient de plus en plus dans des cadres régionaux ou sectoriels, court-circuitant la logique universelle du GATT.
Le traitement national et la non-discrimination restent les pierres angulaires du système. Mais sa cohérence dépend d’un équilibre instable entre ouverture et adaptation. L’essor du secteur des services, la montée des enjeux de développement durable, l’irruption de nouveaux défis interrogent la capacité du GATT à rester la boussole de l’économie mondiale. Le commerce, loin d’être un long fleuve tranquille, se réinvente sans cesse sur ce fil ténu entre coopération et rivalité.