Existence du GATT : en quoi consiste cet accord commercial mondial ?

En 1947, vingt-trois pays signent un accord qui ne possède aucune valeur contraignante sur le plan juridique international, mais qui s’impose pourtant comme cadre de référence pour la quasi-totalité des échanges commerciaux mondiaux. Les négociations qui s’y tiennent reposent sur un principe de « non-discrimination » qui tolère cependant des exceptions majeures, notamment pour les unions douanières et les pays en développement.

Malgré l’absence d’une véritable organisation chargée de le faire respecter, ce dispositif parvient à modeler la politique commerciale de plus de cent pays pendant près d’un demi-siècle.

Le contexte de création du GATT : un monde à reconstruire après 1945

L’année 1945 ne s’est pas contentée de redessiner les frontières : elle a obligé les États à repenser la façon dont le monde commercerait. Après des années de guerre, la planète doit renouer les fils déchirés de l’économie mondiale. Les échanges sont en lambeaux, les systèmes monétaires désorganisés, les routes du commerce coupées. Les responsables politiques veulent à tout prix éviter le scénario des années 1930, lorsque le repli sur soi et les barrières douanières avaient plongé l’économie dans la tourmente.

Mais l’idée d’une grande organisation internationale du commerce progresse à petits pas. À Bretton Woods, les bases sont posées pour le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, mais la pièce manquante reste celle du commerce. Les discussions pour créer une organisation internationale du commerce (OIC) s’embourbent : blocages politiques, réticence des États-Unis, divergences nationales. Le projet s’enlise, menacé de disparaître avant même d’avoir vu le jour.

C’est dans ce climat d’incertitude que vingt-trois pays prennent les devants. En 1947, ils élaborent ce qui devait être un simple texte transitoire : le GATT. Un accord pensé comme une solution d’attente, conçu pour accompagner la future OIC. Mais faute de mieux, il s’impose rapidement comme la référence pour organiser les échanges mondiaux. Ce compromis souple permet de contourner le blocage institutionnel et d’attirer de nouveaux signataires, au gré des mutations de l’économie mondiale.

Le GATT apparaît alors comme une réponse pragmatique à l’urgence du moment : restaurer la confiance et rouvrir les marchés, sans attendre la grande organisation qui tarde à voir le jour.

Quelles sont les grandes règles qui structurent le GATT ?

Le GATT s’appuie sur quelques principes phares, conçus pour sécuriser les échanges et neutraliser les pratiques déloyales héritées du passé. Sous la houlette d’Eric Wyndham White, le texte articule ses dispositions autour de la réduction progressive des tarifs douaniers, de la limitation stricte des restrictions quantitatives et de l’instauration d’un traitement équitable entre partenaires commerciaux.

Trois règles, en particulier, fondent l’esprit du GATT. D’abord, la clause de la nation la plus favorisée : chaque avantage douanier accordé à un pays membre s’applique automatiquement à tous les autres, ce qui évite la multiplication d’accords bilatéraux à géométrie variable. Ensuite, le traitement national : une fois la frontière passée, les produits importés doivent bénéficier du même régime que les biens locaux, que ce soit pour la fiscalité ou la réglementation. Enfin, l’interdiction des restrictions quantitatives : l’accord proscrit quotas et licences d’importation, sauf exceptions très encadrées.

Voici concrètement sur quoi le GATT insiste :

  • Tarifs douaniers : baisse progressive et concertée des droits de douane entre les membres.
  • Restrictions quantitatives : disparition des quotas et limitations à l’importation, pour fluidifier la circulation des biens.
  • Égalité de traitement : application stricte de la clause de la nation la plus favorisée et du traitement national.

Mais le GATT ne se limite pas à des principes sur le papier. Grâce aux cycles de négociations, son champ d’application s’élargit, apportant discipline et transparence à un nombre croissant de pays signataires. L’accord anticipe aussi les litiges, en posant les bases d’un mécanisme de règlement multilatéral, qui deviendra plus tard une véritable instance d’arbitrage commerciale.

L’évolution du GATT vers l’Organisation mondiale du commerce

Au fil du temps, le GATT s’est métamorphosé. Ce qui n’était qu’un accord intermédiaire en 1947 est devenu le socle du commerce multilatéral. Les cycles de négociations, Kennedy, Tokyo, Uruguay Round, ont marqué son évolution. À chaque étape, les ambitions grandissent : abaissement des droits de douane, ouverture à de nouveaux secteurs, traitement des subventions et des pratiques jugées inéquitables.

En 1994, les accords de Marrakech font date. Le GATT passe le relais à une structure permanente : l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Cette nouvelle institution, dirigée à ses débuts par Renato Ruggiero, hérite de l’expérience du GATT, mais franchit un cap. Elle prend en charge non seulement les biens, mais aussi les services et la propriété intellectuelle. Elle institue un mécanisme de règlement des différends solide et structuré, qui donne un poids inédit au droit commercial international.

Ce passage du GATT à l’OMC marque bien plus qu’un simple changement de nom. Il s’agit d’une transformation profonde : d’un simple traité, le monde passe à une véritable organisation mondiale capable d’embrasser la complexité des échanges contemporains. Les débats du Doha Round ou la détermination de dirigeants comme Ngozi Okonjo-Iweala incarnent cette ambition, toujours renouvelée, de faire du commerce un levier de régulation mondiale.

Jeunes professionnels analysant une carte du commerce mondial

Quel impact le GATT a-t-il eu sur le commerce international ?

Depuis 1947, le GATT a profondément redessiné le visage du système commercial mondial. La réduction continue des tarifs douaniers a permis aux marchandises de franchir les frontières à un rythme jamais vu. Entre 1950 et 1973, la croissance des exportations mondiales tutoie les 7 % annuels, une dynamique qui stimule l’industrie et accélère la modernisation des économies occidentales.

Mais l’influence du GATT ne se limite pas à l’ouverture des marchés. En freinant le protectionnisme qui régnait avant la guerre, il a favorisé la diversification des échanges et multiplié les produits qui circulent d’un continent à l’autre. Les nouveaux membres, des États-Unis à l’Inde, du Japon au Brésil, ont permis d’étendre ce mouvement bien au-delà de l’Europe ou de l’Amérique du Nord.

L’impact se mesure aussi sur le plan financier. La libéralisation a renforcé la compétitivité, mais elle a aussi exposé de nombreux pays aux déséquilibres extérieurs. Les discussions sur les subventions à l’exportation et le dumping ont souvent été vives, mais le dialogue multilatéral instauré par le GATT a ouvert la voie à des compromis inédits.

Quelques chiffres donnent la mesure du phénomène :

  • Le volume du commerce mondial a été multiplié par 40 depuis 1950.
  • Les droits de douane industriels des pays développés sont passés d’environ 40 % à moins de 4 %.
  • Les accords commerciaux régionaux se sont multipliés, venant parfois compléter le dispositif multilatéral.

Le GATT a aussi servi de tremplin pour aborder de nouveaux enjeux, comme la régulation des services ou de la propriété intellectuelle. Au fil du temps, il a façonné un terrain où les économies s’entremêlent, où le commerce devient un moteur d’intégration mondiale. Difficile d’imaginer la mondialisation sans ce socle, discret mais déterminant.

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